Du podium à l’écran, création de nouvelles fantasmagories
- caecilia
- 15 avr. 2022
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 déc. 2022
Du podium à l’écran, la digitalisation des défilés a donc introduit un tout nouveau spectacle qui mêle arts cinématographiques et arts picturaux. Le 3D a permis la création d’environnements immersifs, toujours plus réalistes et esthétiques. L’étude de notre corpus nous permet d’avancer deux innovations au sein du défilé.
Chez Dior, alors que le défilé a lieu sur un podium en physique, le digital est constitutif du vêtement lui-même. En revanche, chez Balenciaga, le défilé est entièrement virtuel, il est le support même du défilé. Ainsi, le digital redéfinit les codes du défilé de mode et les marques deviennent des laboratoires de recherches pour proposer l’avenir vestimentaire de la société. Les couturiers créent de nouvelles identités visuelles, qui apparaissent comme la fusion de plusieurs arts. Comment recréer une expérience sensorielle et interactive de la mode dans le métavers pour proposer des nouveaux modèles?

L’innovation textile au service de la théâtralisation
Pour son défilé prêt-à-porter automne-hiver 2022-2023, la maison Dior présente une Next Era. Ce défilé marque l’entrée d’une nouvelle ère de la Mode, marquée par la rencontre entre le futur et la tradition, la technologie et l’artisanat du vêtement. Maria Grazia Chiuri réinterprète les pièces intemporelles du vestiaire pour les métamorphoser en créatures suspendues entre imaginaire et réalité. La Next Era présage une apocalypse climatique, caractérisée par une météo menaçante. La technologie viendrait accompagner l’homme dans ces changements.
En effet, le défilé s’ouvre sur une combinaison, dont les coutures ont été changées en une sorte de réseau organique d’artères et de veines aux couleurs luminescentes. Cette première pièce introduit une Mode inattendue, où la technologie devient un accessoire glamour. La combinaison est équipée d’un système qui maintient la température corporelle de manière constante. En collaboration avec la startup de recherche en technologie D-Air lab, Maria Grazia Chirui réinvente le modèle originel du tailleur Bar avec une maille imitant la grisaille et capable de prendre l’empreinte du corps. Le mythique tailleur devient une version couture de l’Antarctica Suit, une veste équipée d’un système chauffant et portée par les personnes travaillant dans des conditions climatiques extrêmes. Ainsi, elle garde sa structure architecture sophistiquée, à l’image de la maison. Se succèdent ensuite des manteaux imperméables, des gilets inspirés des gilets de sauvetage, des ceintures à multiples poches, un corset réglable et des gants de motards remontants sur le bras. The Next Era apparait comme un court-circuit temporel où les robes et des imperméables se portent avec des corsets et des cols du XVe siècle. La collection est suspendue dans le temps. Elle est une rencontre entre le passé et le futur, mais ne parait pas appartenir au présent. Ce défilé est un voyage qui façonne les artefacts d'un nouveau monde, un autre monde, à faire et à inventer. Cette collection ramène la Mode à son essence, c’est-à-dire permettre à l’homme de vivre. Fidèle aux codes du défilés et de la publicité, elle compose néanmoins une garde-robe insufflée de styles fidèles revisitant les codes de la maison Dior. La maison propose une fantasmagorie à la fois inquiétante, pour sa tonalité apocalyptique, et rassurante, grâce à la technologie.
Le jeu vidéo de Balenciaga, Afterworld : The Age of Tomorrow, entre science-fiction et publicité
Julien Tauvel, PDG et cofondateur d’Imprudence, studio de design spéculatif qui réfléchit à la manière dont on vivra en 2030, analyse :
« Le luxe doit toujours prouver, que ce soit avec du textile ou des pixels, dans un monde synthétique comme dans la vie réelle, qu’il dépasse les normes créatives en vigueur. »
En effet, Balenciaga ne se contente plus de proposer les vêtements du Nouveau Monde mais met en scène ce Nouveau Monde. Il s’agit d’une projection en 2031.
Le défilé ne se présente pas sous la forme d’une parade de vêtements mis en scène dans un décor virtuel, mais aux moyens de mannequins rencontrés au fil du jeu. Les vêtements de la collection sont portés par les personnages du jeu, numérisés en 3D par le procédé de photogrammétrie, c’est-à-dire à partir de photos. Demna Gvasalia propose une réflexion sur le vêtement en tant qu’objet de communication à travers l’armure : « Nous utilisons les vêtements pour nous exprimer, nous protéger et affirmer nos identités propres, nous adapter à un environnement ou oser nous distinguer. Nous pouvons dire tellement de choses sur nous, mais aussi utiliser la mode pour truquer la perception que les autres ont de nous et cacher qui nous sommes vraiment. Même si elle a perdu sa fonction d’origine, l’armure que vous apercevrez dans ce jeu vidéo illustre le fait que la mode peut être protectrice. »[i] L’armure du héros est à l’image du vêtement. Ce dernier est une armure sociale, rappelant ainsi que le vêtement est significatif d’une époque et d’une individualité. Le couturier compare la femme à Jeanne D’Arc dont la bravoure et le combat le fascinent. La femme devient alors une héroïne, elle continue son émancipation en devenant le personnage principal de cette société.
Ce storytelling soulève surtout la question du rôle de la technologie au sein de la communication des marques de mode. Cette aventure métaphorique constitue un regard critique sur le monde qui nous entoure. La maison nous invite à un futur proche digitalisé. Face à la pandémie, les couturiers imaginent la prochaine épopée virtuelle de défilé - spectacles. Le digital permet l’exploration et la création de scénographies irréelles. Dans Afterworld, la récompense sera de devenir le maître des deux mondes, le monde réel et l’utopie numérique du jeu vidéo. Le spectateur devient actif au sein du défilé pour entreprendre un voyage interactif basé sur des passés mythologiques et des futurs idéaux en explorant une collection modélisée. Ces avatars permettent aux marques d’impliquer leurs clients et de toujours raconter plus d’histoires. A la manière d’un film de science-fiction, le digital démocratise l’accès au futur de la mode et permet à tous de participer à sa création. Ainsi, le recours à la technologie permet une infinie liberté créative pour façonner la société de demain.
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